critique de film

Il y aura deux types de spectateurs pour ce nouveau film du réalisateur canadien. Ces fans vont y retrouver son univers, son esthétique, ses nombreux tics de mise en scène (on finit par s'y habituer) et une bande musicale agressive qui n'hésite pas à aller chercher jusque dans des tubes d'un boys band roumain. Succès assuré, évidemment. En revanche, les inconditionnels de Jean-Luc Lagarce, ceux qui ont lu le texte ou ceux qui ont vu la mise en scène lumineuse de Michel Raskine à la Comédie Française, portée par l'interprétation magistrale de Pierre Louis-Calixte vont, à juste titre, hurler au scandale devant une hystèrie cinématographique collective alors que le texte de Lagarce, écrit alors qu'il sait depuis peu qu'il est séropositif, requiert de la pudeur et l'apaisement que la langue théâtrale de l'auteur de Music Hall suggère. Il suffit de lire son journal pour comprendre le soin qu'il a pris à l'écriture de ce texte qui revêtait une importance toute particulière pour lui. Pourquoi est-ce un massacre dans la mesure où l'adaptation cinématographique peut aller jusqu'à la "trahison créatrice"? Parce qu'ici un texte quasi testamentaire est dévoyé. Le personnage principal annonce d'entrée son homosexualité, ce qui reste toujours en suspens dans la pièce, et sa famille très provinciale apparaît donc très gay friendly, un anachronisme fort gênant. Chaque personnage est dans l'outrance (les acteurs, qu'il ne faut pas blamer, sont en sur régime en permanence, c'est presque éprouvant, insupportable). Finalement, la seule qui s'en sort, c'est Marion Cotillard (dont je ne suis pas un fan, loin de là) mais qui semble avoir l'intelligence du texte et résister au délire de son metteur en scène. Surtout, la pièce se termine par un monologue magnifique, totalement évacué dans le film. Dolan n'a-t-il pas su quoi en faire? Gaspard Ulliel était-il en capacité de s'en emparer, lui qui se contente de se déplacer mollement dans le film. "ce sont des oublis comme ça que je regretterai" termine la pièce. Dolan aurait dû comprendre que la langue de Lagarce avait une portée et que la réduire dans une adaptation cinématographique est une preuve de faiblesse artistique. Transposer une pièce de théâtre qui deviendra un classique en chef d'oeuvre du cinéma, c'est complexe et seuls les maîtres y sont parvenus. Le film a été reçu très fraîchement à Cannes par le public et la critique, on apprend que le réalisateur ne proposera pas son prochain film pour la sélection 2017. Le prix remis par un jury atteint de cécité pour l'essentiel de son palmarès ne semble pas avoir suffi, Dolan serait-il "mauvais joueur"? Non, bien sûr.